jeudi 10 février 2011

Intérieur nuit







-      Sais-tu que lorsqu’on rêve qu’on s’envole, c’est synonyme de jouissance sexuelle ?



Non. Je ne le savais pas. A treize ans, je ne connaissais rien de l’interprétation des rêves dont mon père me livrait un secret.

C’est intéressant que mon père me donne les clefs du décryptage d’une jouissance cachée, au détour de mon oreiller.



Depuis toujours, du moins, depuis que je m’en souviens, je vole au dessus des falaises de Biarritz. Ca se passe toujours là, à 100 mètres au dessus de la mer, le long de la plage de la côte des Basques. Je vole face à la Rhune et au Jaïzkibel. J’embrasse tout l’espace, j’emplis tout cet univers, la plus belle vue du monde m’appartient. J’incarne cet endroit et je suis une jouissance à l’état pur. Je vis un coït non interruptus ad vitam aeternam…du moins jusqu’à ce que je retombe dans mon lit à deux dimensions.



Pourtant, la nuit dernière, je ne volais pas. J’étais bien sur terre.  Dans les bras de Nicolas Demorand. Au cours d’un pas de deux torride, je me suis abandonnée comme jamais. Sa voix m’entoure. Il susurre des mots inavouables…quelques secondes avant le journal de 7 heures : Barack Obama vient d’être élu à la Maison Blanche, il est temps que j’aille réveiller mes enfants.

-      J’ai passé ma nuit avec lui !

Je fanfaronne, en manière de provocation.

Hervé ouvre un œil :

-      Avec qui ?

-      Eh bien…Avec Nicolas Demorand.

Mon homme se renfrogne. J’ai fait mouche. Il se retourne :

-      Et moi, dit-il, j’ai passé ma nuit avec Claire Chazal !

Menteur. Je n’en crois pas un mot.



Ce n’est pas la première fois que je convoque le gotha médiatique et politique au dessus de mon chevet. Un jour ou plutôt un nuit, de marché, toujours à Biarritz, par grand beau, au milieu des cris des poissonnières et des vendeuses de poulets, Pierre Bérégovoy m’a vendu une paire de boucles d’oreilles de très bonne facture. Il se tient au vout d’un étal chargé de bijoux de pacotille. Il m’aide à choisir. Il dispose les boucles au bas de mes oreilles, et son visage buriné, ses sourcils épais, son regard de grand-père rassurant m’engagent à la confiance absolue. Eh bien soit, ce sera la paire bleue qui me va beaucoup mieux que la rouge. C’est du moins ce qu’affirme le Premier ministre.



Les terroristes d’Al-Quaeda, ça ne l’effrayait pas à l’époque, ça n’existait pas. Mais aujourd’hui, ils me poursuivent jusque dans le parking où je gare ma voiture tous les matins ;  je n’ai pas le temps de m’en extraire : au loin, un homme cagoulé tient un boitier dans ses mains. A l’instant même où il actionne le détonateur de la bombe, je sais ce qui va se produire : dans l’explosion de ma voiture, comme dans les effets spéciaux conçus par ordinateurs, tout mon être s’éparpille en particules balayées par le vent.



Je meurs sans souffrance dans un tourbillon numérique.

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